Mois: novembre 2015

Un océan sur Mars

Cette vidéo (en anglais) a été mise en ligne par la NASA après la publication du papier: Villanueva et al., 2015. Strong water isotopic anomalies in the martian atmosphere: Probing current and ancient reservoirs. Science, Vol. 348 no. 6231 pp. 218-221. DOI:10.1126/science.aaa3630. Vous trouverez ci-dessous, un petit résumé en français.

Mars est une planète rocheuse comme la Terre mais, aujourd’hui, sa surface ne contient que très peu d’eau. On la trouve principalement sous forme de glace aux pôles ou emprisonnée dans des minéraux hydratés. La quantité d’eau liquide anciennement présente sur la surface de Mars est inconnue.

A l’aide de télescopes terrestres, des chercheurs de laboratoires de la NASA ont mesuré la composition isotopique de l’hydrogène (c’est à dire l’abondance relative des deux isotopes deutérium D et hydrogène H) des molécules d’eau dans l’atmosphère de Mars au-dessus des calottes polaires. Ils utilisent ce rapport isotopique pour estimer la quantité d’eau qui a été perdue par évaporation dans l’espace depuis la formation de la planète. En effet, les molécules d’eau contenant du D (HDO) s’évaporent moins facilement que celles qui ne contiennent que du H (H2O). L’eau qui reste après évaporation va donc posséder un rapport D/H plus élevé que l’eau initiale. Supposant un rapport D/H initial similaire à celui de l’eau des minéraux de météorites martiennes*, les chercheurs ont évalué la quantité d’eau perdue pour obtenir le rapport actuel et estimé le temps nécessaire pour évaporer cette eau.

Cette étude a mis en évidence la présence de forts enrichissements en D dans les glaces d’eau polaire de Mars et a permis d’estimer la quantité d’eau initiale. D’après ces mesures, il semble que Mars ait eu, il y a 4 milliards d’années, un océan sur 20% de sa surface, une étendue plus grande que l’Océan Arctique sur Terre. 87% de cette eau s’est évaporée et les calottes polaires sont les résidus de cette évaporation.

Cette quantité d’eau est bien plus importante que ce qu’on supposait. Cela implique aussi que l’océan martien a mis plusieurs milliards d’années à s’évaporer. C’est une durée bien plus grande que le temps qu’il a fallut à la vie sur Terre pour apparaître. Comme la Terre, il semble que Mars a pu être un terrain très favorable pour l’apparition de la vie.

*Ces minéraux ont emprisonné de l’eau au moment où ils se sont formés, il y a environ 4,5 milliards d’années.

De surprenantes variations dans l’eau du système solaire primitif

Cet article a été publié en juillet 2015 dans la rubrique Zoom Science du site de l’IMPMC (Université Pierre et Marie Curie, Paris, France). Il fait suite à la publication de notre article (Piani et al., 2015) dans EPSL.

L’origine de l’eau sur Terre est une des grandes questions de la géochimie. Il est probable que l’eau des océans ait pu être apportée par des comètes ou des météorites provenant de la ceinture d’astéroïdes (chondrites). La signature isotopique de l’hydrogène, principal constituant de l’eau et quasi-absent dans la plupart des minéraux, est le moyen le plus couramment utilisé pour tracer l’origine de l’eau dans le système solaire. Les composants des chondrites, peu modifiés depuis leur formation, constituent de véritables témoins des conditions physico-chimiques qui régnaient dans le système solaire jeune, il y a environ 4.5 milliards d’années. Parmi ces composants, on trouve dans certaines chondrites des minéraux hydratés qui ont enregistré la signature isotopique de l’eau à partir de laquelle ils se sont formés. Cependant, dans les chondrites, ces minéraux hydratés sont très finement mélangés à un autre porteur de l’hydrogène : la matière organique. Il est donc très difficile de mesurer individuellement leur composition isotopique au sein de la roche. Dans cette étude, nous avons utilisé un nouveau protocole de mesure avec la sonde ionique NanoSIMS installée au Muséum National d’Histoire Naturelle à Paris pour estimer la contribution de chacune de ces phases à la composition isotopique de l’hydrogène dans les chondrites (détails du protocole dans Piani et al., 2012). Nous avons donc pu estimer localement, pour différents types de chondrites, qui de la matière organique ou des minéraux hydratés possède le plus fort rapport isotopique.

Nous avons mesuré de fortes différences selon les classes de chondrites (carbonées et ordinaires) en accord avec des études précédentes. De plus, dans la chondrite ordinaire Sé- markona, nous avons observé que la composition isotopique des minéraux hydratés est très hétérogène avec, par endroit, des enrichissements extrêmes en deutérium (l’isotope lourd de l’hydrogène) surpassant les valeurs jusqu’ici mesurées dans les chondrites (Fig. 1).

Fig1_Zoom-science

Fig. 1 Distribution du rapport isotopique D/H mesuré dans la matrice de la chondrite ordinaire Sémarkona. Dans cette image, deux zones micrométriques sont particulièrement riches en deutérium et correspondent à des minéraux hydratés.

Il est difficile de concevoir que de tels enrichissements et hétérogénéités puissent se former sur le corps parent astéroïdal. Ils suggèrent donc fortement la présence d’eau plus ou moins enrichie en deutérium dans le système solaire primitif. Cette eau aurait été accrétée sous forme de glace lors de la formation de l’astéroïde et aurait altéré très localement les silicates environnants, conservant ainsi son hétérogénéité isotopique.
La présence, dans le système solaire primitif, de zones où les grains de glace d’eau ne se sont pas homogénéisés est surprenante. Ceci indique qu’une partie de ces grains, qui pourrait-être d’origine interstellaire, a été conservée intacte jusqu’à leur accrétion. L’incorporation, en proportions variables, de ces grains de glace d’eau riches en deutérium pourrait être
à l’origine les variations de compositions isotopiques observées dans les comètes (Fig. 2), et notamment le fort rapport isotopique en faveur du deutérium mesuré récemment par la sonde Rosetta pour la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko (Altwegg et al., 2014).

Fig2_Zoom-science

Fig. 2. Compositions isotopiques de l’hydrogène dans le système solaire. Figure modifiée d’après Hartogh et al. (2011). CI représente la valeur de l’eau des chondrites carbonées, les symboles noirs les valeurs mesurées dans les atmosphères des planètes Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Les compositions isotopiques mesurées pour Sémarkona (bleu clair) couvrent toute la gamme de valeurs obtenues jusqu’ici pour la Terre, les météorites et les comètes.

Les résultats de cette étude apportent donc de nouvelles contraintes sur la distribution de l’eau dans le système solaire primitif. Ces contraintes permettront d’affiner les modèles de distribution et d’évolution de la matière dans le système solaire depuis le stade nébulaire (nuage de gaz et de poussière) jusqu’à la formation de la Terre et de ses océans.

 

Références

Altwegg, K., 2014. 67P/Churyumov-Gerasimenko, a Jupiter family comet with a high D/H ratio 1-6.
doi:10.1126/science.1261952 /

Hartogh, P., Lis, D.C., Bockelée-Morvan, D., de Val-Borro, M., Biver, N., Küppers, M., Emprechtinger, M., Bergin, E. a, Crovisier, J., Rengel, M., Moreno, R., Szutowicz, S., Blake, G., 2011. Ocean-like water in the Jupiter-family comet 103P/Hartley 2. Nature 478, 218–20. doi:10.1038/nature10519

Piani, L., Remusat, L., Robert, F., 2012. Determination of the H isotopic composition of individual components in fine-scale mixtures of organic matter and phyllosilicates with the nanoscale secondary ion mass spectrometry. Anal. Chem. 84, 10199–206. doi:10.1021/ac301099u